Être syndic en Île-de-France
Le présent rapport restitue les résultats de la seconde phase d’une recherche sur les syndics de copropriété. Après une première phase de recherche conduite à l’échelle nationale auprès des représentants de la profession, ce nouveau rapport porte un regard plus fin sur cette profession à une échelle mésoscopique. Nous passons ainsi de l’étude du groupe professionnel à celle des cabinets exerçant ce métier au sein de quelques territoires franciliens. À travers une enquête de terrain en Île-de-France, nous décrivons la pratique quotidienne du métier, ses conditions d’exercice, le sens que lui donnent les syndics et les valeurs qui sous-tendent leur manière de l’exercer. Celle-ci permet ainsi de révéler, au plus près de l’expérience des syndics, leurs contraintes et la manière dont ils appréhendent les mutations de leur métier.
Ce travail a pour finalité de comprendre comment les syndics s’impliquent dans des politiques publiques à l’échelle locale et se structure autour d’un double questionnement. Il s’agit, d’une part, de comprendre, du point de vue des valeurs, des représentations, des modèles économique et organisationnel ainsi que des enjeux actuels, la place que les syndics accordent à la mise en œuvre des politiques publiques de copropriété dans leur activité. D’autre part, il s’agit d’identifier s’il existe des continuités et des caractéristiques récurrentes entre les syndics de copropriété, qui se distinguent par leur engagement.
Cette recherche se décline ici à l’échelle régionale avec l’étude de la situation francilienne. L’Île-de-France se distingue des autres territoires par le caractère massif de son parc de copropriétés. La région représente, selon le Registre national des copropriétés, près de 25 % des copropriétés françaises. L’Île-de-France est aussi une région emblématique en matière de politiques publiques sur les copropriétés. D’une part, elle est une importante terre d’expérimentation des politiques d’accompagnement et de traitement du parc de copropriétés en difficulté. D’autre part, elle accueille de nombreuses initiatives publiques en matière de soutien à la rénovation énergétique des copropriétés.
Afin d’étudier les cabinets de syndic en Île-de-France, ce rapport s’appuie à la fois sur une analyse statistique et sur une enquête qualitative. Ces deux approches sont complémentaires quand il est question de comprendre le syndic comme un acteur du territoire, c’est-à-dire de le positionner dans le contexte local spécifique dans lequel il exerce son métier et de saisir dans quelle mesure l’ancrage territorial joue un rôle dans la pratique du métier.
Trois principaux critères ont été appliqués pour composer l’échantillon de syndics franciliens à interroger. Ils visaient à assurer que les trois segments du groupe professionnel étaient bien représentés, que la localisation des cabinets correspondait à la diversité géographique de l’Île-de-France et à interroger à la fois des syndics avec une implication reconnue a priori dans une politique publique, et des syndics sans engagement reconnu.
La carte ci-après présente plus en détail la localisation des syndics franciliens rencontrés dans le cadre de l’enquête de terrain.
Implantation des cabinets de syndic en Île-de-France et effets des inégalités sociospatiales sur l’accompagnement des copropriétés
Nous avons tout d’abord souhaité, dans le premier chapitre, comprendre comment les syndics sont implantés sur le territoire francilien à travers une analyse des portefeuilles gérés par des syndics professionnels. En mobilisant les données du Registre national des copropriétés, nous avons exploré comment se traduisent dans le contexte régional de l’Île-de-France les notions de syndic comme « acteur du territoire » et de la « gestion de proximité » revendiquée par de nombreux syndics. Nous nous intéressons également à l’effet des inégalités sociospatiales sur l’offre en gestion professionnelle sur les territoires. Notre premier chapitre restitue cette analyse statistique en exposant comment les logiques d’implantation territoriale ou de « maillage » se différencient entre les trois segments de syndics. Cette analyse suggère qu’il existe des différences dans les logiques d’implantation des syndics en fonction des caractéristiques socioéconomiques des territoires. Se pose alors la question de la qualité de l’accompagnement dont bénéficient les copropriétaires en fonction de leur position sociale, surtout sur les territoires modestes où le risque de fragilisation des copropriétés paraît particulièrement important.
Les cabinets et l’activité de gestion de copropriété : l’Île-de-France, un paysage d’organisations à la fois proches et lointaines
Le chapitre II marque la première immersion dans le métier de syndic de copropriété. Il restitue deux points de vue sur la gestion des copropriétés. D’abord, il porte sur les cabinets de gestion de copropriété, leur identité, leur trajectoire et leurs activités. À partir de l’exploration des figures archétypales de l’indépendant, du groupe et du nouvel entrant, il renvoie à la fois à la segmentation plus fine que les syndics opèrent dans leur positionnement au sein du groupe professionnel et au socle commun sur lequel ils bâtissent leur activité, entre histoire longue, proximité au territoire et équilibre instable. De ce point de vue en particulier, les cabinets de gestion de copropriété s’apparentent typiquement à de très petites entreprises telles que la littérature les documente. Ce chapitre se penche ensuite sur l’activité de gestion à proprement parler et en explore plusieurs facettes : la logique de développement autour de la composition du portefeuille d’immeubles ; les modèles économique et organisationnel autour du trinôme de gestion et ses nombreuses variantes ; les ressources humaines autour de l’enjeu du recrutement, de la fidélisation et de la gestion des équipes dans un contexte marqué par une rotation du personnel importante et une pénurie de compétences.
En Île-de-France, l’organisation en trinôme (composé d’un gestionnaire, d'un comptable et d'un assistant) reste dominante. Cependant, les réalités des cabinets rencontrés en Île-de-France montrent que le trinôme est moins stable que ne le laissaient penser les témoignages recueillis auprès des acteurs nationaux. Dans un nombre significatif de cas, l'organisation des équipes n'est pas figée et s'ajuste, d'une part, au renouvellement des effectifs et aux difficultés de recrutement rencontrées, d'autre part, aux entrées et aux sorties d’immeubles du portefeuille de gestion. Les deux problématiques centrales de la profession liées au recrutement et au renouvellement des collaborateurs apparaissent indépendantes de la taille et du segment d’appartenance. Elles semblent en partie dicter le modèle organisationnel de cabinets à l’équilibre fragile et instable.
Trajectoires et identités professionnelles des syndics franciliens : des joies et des peines partagées
Après avoir exploré les cabinets franciliens et leur organisation, le chapitre III resserre la focale sur les individus interrogés et ce qu’ils disent de leur métier. La première moitié du chapitre est d’abord consacrée aux trajectoires professionnelles de nos interviewés. Elle retrace les parcours et les motifs les ayant conduits à exercer le métier ainsi que les carrières qu’ils ont menées au sein de la profession. Étudier les moteurs de ces trajectoires et les univers de socialisation traversés – au cours de formations initiales et d'expériences professionnelles internes et externes à la profession – est ainsi une première façon d’appréhender le sens que les individus syndics donnent à leur fonction et la vision qu’ils ont de leur mission. Cette analyse vise à donner des clés de lecture sur les motivations au travail et les difficultés spécifiques du métier qui peuvent servir de point d’appui pour la construction de relations de coopération avec l’action publique. En déplaçant le regard au niveau des trajectoires individuelles des gestionnaires, nous constatons qu’indépendamment de leur segment d’appartenance, les syndics partagent une identité professionnelle commune. Cette adhésion des gestionnaires à leur métier s’exprime par trois valeurs cardinales qui composent cette identité :
- l’autonomie ;
- le goût pour la pluridisciplinarité et la complexité ;
- la relation humaine.
L’enquête auprès des syndics franciliens montre qu'une bonne connaissance du droit reste importante dans l’identité professionnelle. Cependant, elle identifie qu’il ne constitue qu’un élément parmi d’autres de la pratique de la gestion qui valorise également d’autres compétences, notamment sociales dans la gestion des relations humaines. L’importance de la reconversion au sein de notre échantillon francilien montre par ailleurs que les gestionnaires sont issus de formations et de parcours professionnels très divers qui tendent à nuancer à leur tour cette place centrale accordée au droit.
L’implication des syndics franciliens dans la politique de rénovation énergétique des copropriétés
Le chapitre IV s’intéresse à la rénovation énergétique comme illustration des conditions d’implication des syndics vis-à-vis d’un enjeu de politique publique qui concerne le parc des copropriétés dans sa globalité. Il contribue à élucider l’écart entre l’activisme des acteurs nationaux et l’atonie des cabinets, identifié dans la première phase de la recherche. Il s’intéresse tout d’abord à la construction du rapport des cabinets à la rénovation énergétique en montrant la diversité des positionnements actuels, en décrivant les trajectoires d’implication, la multiplicité des logiques d’action à l’œuvre et la perception de la demande des copropriétaires. Il en ressort que l’appropriation de la rénovation énergétique au sein du cabinet passe par l’émergence d’un professionnel fortement investi dans son métier et occupant une position d’encadrement et/ou de stratégie, dont le parcours antérieur permet de projeter la rénovation énergétique comme une aubaine pour le cabinet.
Il analyse ensuite l’influence que les syndics exercent sur les décisions des copropriétés à travers leurs postures et leurs pratiques en tant que prescripteurs de travaux en général et de rénovation énergétique en particulier, mais aussi le filtre qu’ils appliquent sur le potentiel de rénovation du parc. Puis, il réintroduit le syndic au sein du système des acteurs intervenant dans les projets de rénovation énergétique pour en analyser les interactions et rétroactions sur les décisions des copropriétés et l’implication des syndics. Enfin, ce chapitre met en évidence les principaux ressorts d’une plus vaste implication des syndics sur la rénovation énergétique : formation, organisation du travail, modèle économique et politiques publiques. Il montre ainsi que l’organisation actuelle des cabinets ne permettrait pas aux syndics de faire face à une montée en charge importante des projets de rénovation au sein de leur parc. Pour entraver la stratégie de freinage, il est urgent d’accélérer les transformations organisationnelles déjà amorcées par certains cabinets. Le chapitre IV souligne par ailleurs que l’implication des syndics est dépendante de l’écosystème dans lequel ils se situent. Cet écosystème impose une série de goulets d’étranglement de la demande, engendrée par les financements, par l’offre des entreprises, par la disponibilité des assistants à maîtrise d’ouvrage, par le seuil des 35 % de gain énergétique des travaux imposé par les aides nationales à la rénovation ainsi que par l’insuffisance de l’accompagnement public spécialisé sur certains territoires.
La gestion des copropriétés en difficulté : une version extrême de l’exercice du métier de syndic ?
Enfin, le chapitre V analyse les spécificités de la pratique du métier et des modes d’implication des syndics franciliens dans la gestion des copropriétés en difficulté. Il décrit sous l’angle de l’expérience vécue des cabinets et des gestionnaires, pourquoi les acteurs parlent parfois d’un « métier différent » pour évoquer la gestion des copropriétés fragiles. Suivi particulièrement chronophage, mobilisation d’une technicité juridique et comptable pointue, rôle d’accompagnement humain et de pédagogie renforcé, etc., les syndics interrogés s’accordent à dire qu’il y a de réelles spécificités importantes dans la gestion des copropriétés en difficulté relevant de dispositifs publics. Leurs situations mettraient ainsi particulièrement en tension le modèle économique du syndic (hors aides publiques). Pour autant, ce chapitre montre à travers la voix des interviewés que ce sont ces spécificités qui, en intensifiant la relation avec les copropriétaires et en confirmant l’importance du savoir-faire des syndics pour sortir des difficultés, donneraient plus de sens et de valeur à leur métier et justifieraient leur engagement.
Enfin le chapitre se termine par une analyse des interactions particulières qui se nouent entre les syndics et certains acteurs publics dans la gestion de redressement et identifie des pistes en faveur d’une meilleure association des syndics à ces politiques publiques. Nous constatons que l’engagement dans des dispositifs publics, par exemple pour le redressement des copropriétés en difficulté, ne dépend pas de la taille du cabinet ni de son segment d’appartenance. Cet engagement dépend plutôt des personnes jouant un rôle d’encadrement, de leurs valeurs et trajectoires professionnelles, mais également des territoires sur lesquels ils interviennent, des politiques locales mises en œuvre et des caractéristiques du parc de copropriétés.
Le chapitre V conclut que les compétences mises en avant par les gestionnaires accompagnant des copropriétés en difficulté ne sont pas si spécifiques au regard de la vision du métier dégagée par les autres représentants de la profession. C’est alors plutôt le cumul et l’exacerbation de toutes les contraintes et exigences du métier, déjà difficile à rentabiliser dans la gestion des copropriétés ordinaires, qui finiraient par justifier que, comme à l’échelle nationale, les gestionnaires interrogés de ces copropriétés parlent d’un « autre métier », d’une pratique différente.
Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Habitat et logement |
Efficacité énergétique |
Copropriétés |
Précarité énergétique |
Aménagement et construction durables