Les mutations contemporaines des syndics de copropriété
Les copropriétés représentent près de 10 millions de logements (Insee, 2017) et 30 % des résidences principales (Anah, 2019). Elles occupent donc aujourd’hui une place centrale dans le parc de logements anciens et dans la production neuve. Longtemps cantonnées au marché privé et restées dans l’angle mort des politiques du logement, elles sont pour certaines progressivement devenues un problème public et ont à ce titre fait l’objet de dispositifs spécifiques autour de trois principaux chantiers : l’intervention sur les copropriétés « en difficulté » ou « dégradées » dès les années 1990, la rénovation énergétique à partir de la fin des années 2000 et plus récemment, la prévention des copropriétés fragiles.
Aujourd’hui, la transition environnementale met à nouveau à l’agenda la question des capacités d’évolution des copropriétés existantes. Or, à l’inverse des bailleurs sociaux qui constituent structurellement des partenaires de l’action publique, les copropriétés témoignent de difficultés à dépasser les enjeux de gestion courante.
Les syndics professionnels assurent la gestion de neuf copropriétés sur dix (Insee, 2017). Leur rôle central les identifie comme partenaires clés pour atteindre les objectifs de politique publique concernant le parc de logements en copropriété. Les attentes sont fortes. Les incitations à y apporter les réponses nécessaires se multiplient. Mais atteignent-elles leur cible et surtout, dans quelle mesure les syndics peuvent-ils y répondre et jouer un rôle central dans la mise en mouvement des copropriétés ?
Les syndics, leurs points de vue, leurs pratiques, leur activité et le groupe professionnel qu’ils constituent restent mal connus. Notre recherche contribue à combler cette lacune. Réalisée dans le cadre du programme « (Ré)gé(né)rer les copropriétés : connaître et comprendre les copropriétés, les mobiliser pour la ville durable » lancé par le PUCA en 2022, elle ambitionne d’éclairer l’action publique en saisissant la manière dont les enjeux d’amélioration de la gestion et de la gouvernance des copropriétés peuvent s’articuler avec les pratiques des syndics, leurs intérêts et les représentations qu’ils ont de leur posture et de leur rôle.
Les syndics de copropriété comme groupe professionnel
Ce rapport restitue les investigations réalisées entre le printemps et l’automne 2022 sur le groupe professionnel des syndics de copropriété. L’analyse s’y déploie à une échelle macroscopique. Elle porte principalement sur les dynamiques relationnelles du groupe, dans le temps long de son déploiement et de son institutionnalisation, ainsi que dans son actualité la plus récente. Ces dynamiques constituent la première facette de la gestion de copropriété telle que nous proposons de l’explorer dans notre recherche. Les pratiques quotidiennes des syndics ainsi que le sens qu’ils leurs donnent et les valeurs qui les sous-tendent en constituent la seconde facette et feront l’objet d’un second rapport.
L’approche empruntée à la sociologie interactionniste des « groupes professionnels » et en particulier à l’Ecole de Chicago et aux travaux d’Everett Hughes (Hughes 1931, 1958, 1971 ; Hughes, McGill, Deutscher 1958) considère que les pratiques, les valeurs et les savoir-faire qui structurent l’identité professionnelle des syndics sont inséparables de la configuration des réseaux de relations qui se nouent et se recomposent à l’échelle du groupe professionnel. Autrement dit, si l’action publique souhaite identifier des leviers pour faire évoluer la façon dont les syndics conçoivent et pratiquent la gestion de copropriété, elle devra aussi prendre en compte les dynamiques relationnelles du groupe professionnel au niveau national et ses éventuelles recompositions en cours.
La structuration et les évolutions du groupe professionnel illustrées en cinq axes problématiques
La sociologie interactionniste des groupes professionnels propose un cadre d’analyse pour appréhender un groupe professionnel. Le présent rapport s’en inspire autour de cinq axes : l’histoire de la structuration et de l’institutionnalisation du groupe ; sa segmentation (ou organisation) ; sa représentation ; sa régulation ; ses enjeux contemporains transverses.
Nous avons tout d’abord cherché à produire une socio-histoire des syndics de copropriété en explorant la façon dont les syndics se sont structurés en groupe professionnel, c’est-à-dire en « un corps de métier normé, structuré, hiérarchisé » (Lanher, 2016) et organisé collectivement « pour s’assurer la reconnaissance et l’estime de leurs publics » (ibid.), de l’Etat et des autres corps de métiers avec lesquels ils interagissent. Nous avons reconstitué le « processus de professionnalisation » (Hughes, 1931, 1958, 1971) des syndics en nous intéressant aux origines de ce groupe professionnel, à ses conditions d’émergence et aux grandes étapes de son organisation collective.
Le premier chapitre restitue cette histoire et tire des éléments de ce passé pour mieux comprendre les normes et les valeurs qui structurent aujourd’hui les pratiques de l’activité et l’identité du groupe professionnel et de ses différents segments. Il aboutit au portrait d’une profession historiquement ancrée dans une posture non commerciale et attachée à sa fonction de mandataire.
Dans un deuxième chapitre, nous identifions les différentes composantes, ou « segments » au sens de la sociologie interactionniste des professions, qui composent le groupe professionnel. Nous nous focalisons sur la diversité interne du groupe professionnel, ses clivages et ses mouvements. Nous nous situons en cela dans la lignée des travaux de Bucher et Srauss (1961) qui montrent qu’une profession ne se structure pas seulement autour du « partage d’une même identité ou de valeurs communes » mais comme « un conglomérat de segments en compétition et en restructuration continue », chaque segment défendant des « définitions différentes des activités de travail » et du « sens subjectif de l’activité professionnelle ». Ce travail nous amène à questionner les frontières du groupe professionnel – elles-mêmes objets de tension et de recomposition. Dans cette perspective, nous nous intéressons également au positionnement des syndics vis-à-vis de l’ensemble des professions immobilières et nous intégrons dans nos analyses les nouvelles concurrences, situées aux marges du groupe professionnel, telles que les plateformes en ligne cherchant à promouvoir les syndics non-professionnels. Ce second chapitre met en scène un groupe à présent en partie intégré à une logique de marché et surtout plus divers dans sa conception du métier, ses pratiques et son modèle économique.
Après avoir abordé ce qui structure le groupe professionnel, le troisième chapitre porte sur ce qui le rassemble et sur les institutions dont il s’est doté pour le représenter et défendre ses intérêts. Nous nous penchons ici sur les acteurs collectifs – syndicats et associations professionnels – dont l’objet est de valoriser et légitimer le métier. Une fois encore, il est question de relations, qu’elles soient internes ou externes au groupe professionnel. Cette analyse conduit également à éclairer les positions de pouvoir des différents segments professionnels. D’après Offerlé et ses travaux sur les organisations patronales, une « organisation représentante n'est pas le simple porte-parole de la ‘base’ représentée. Elle est une institution autonome qui, comme telle, génère des intérêts propres et produit aussi les représentations de ceux qu'elle représente. Et ces représentés ont eux-mêmes des intérêts très disparates que l'action de représentation unifie et distord » (Offerlé, 2009). L’analyse enfin révèle les concurrences et les convergences avec les autres professions immobilières avec lesquelles le groupe professionnel des syndics partage les mêmes structures de représentation. C’est aussi l’occasion d’explorer les relations concrètes que le groupe professionnel a su tisser avec les pouvoirs publics.
Le quatrième chapitre est consacré aux institutions et aux pratiques de régulation du groupe professionnel. L’une des fonctions essentielles des formes d’organisation professionnelle est de « faire la chasse aux praticiens non agréés dont le défaut de formation et/ou d’éthique professionnelle sont dits mettre en danger la profession » (Lanher, 2016). Elle revendique à cet effet le contrôle de l’accès à l’exercice de l’activité et développe « une déontologie contraignante et une solidarité de corps entre praticiens » (ibid.) Or, nous verrons que les syndics de copropriété constituent une profession qui est justement très peu régulée par elle-même. Face à ce constat et à des dérives souvent mises en avant, ce sont plutôt les pouvoirs publics qui ont été amenés à prendre des mesures pour encadrer la profession. Pour éclairer ces processus, nous serons amenés à prendre en considération des acteurs extérieurs au groupe professionnel mais qui contribuent à sa régulation. C’est le cas des différents acteurs qui interviennent dans la production du droit de la copropriété et contribuent ainsi à définir l’objet et les normes de l’activité des syndics.
Le cinquième chapitre synthétise enfin les grands enjeux contemporains autour desquels se mobilise et se recompose le groupe professionnel. Ces enjeux se structurent autour des perspectives de transformation de l’activité qui font écho à des mutations plus larges de l’environnement : les évolutions des copropriétés elles-mêmes, de la société de manière plus globale ou encore des techniques susceptibles de modifier l’exercice du métier. Nous avons plus particulièrement identifié trois enjeux principaux qui animent actuellement le groupe professionnel et ses rapports de force internes : les défis posés par l’insuffisante valorisation de la profession ; les effets de la digitalisation des outils sur l’exercice du métier ; le rôle des syndics professionnels dans les politiques publiques concernant la copropriété.
Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Efficacité énergétique |
Copropriétés |
Adaptation au changement climatique