L'hydrogène en Île-de-France : compréhension de la filière et identification des territoires à fort potentiel

Étude

23 janvier 2023Thomas Hemmerdinger, Lucas Sittler

Depuis quelques années maintenant, l’hydrogène s’est installé dans le débat public et est présenté comme une solution nécessaire pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Cette étude réalisée par l’AREC, département énergie climat de L’Institut Paris Region cherche à favoriser une meilleure compréhension de cette filière et de ses enjeux à travers une compilation de connaissances et une analyse des avantages et limites liés à son développement. Elle propose également une analyse de la notion d’écosystèmes territoriaux permettant d’identifier des territoires à fort potentiel hydrogène en Île-de-France. 

L’hydrogène, une réalité industrielle et des perspectives ambitieuses pour la neutralité carbone 

Loin de l’imaginaire collectif, l’hydrogène est une molécule utilisée déjà massivement en tant que "matière" dans deux industries stratégiques : le raffinage des produits pétroliers et la production d’ammoniac pour les engrais. Ces secteurs industriels, répartis sur huit raffineries et quatre usines d’engrais en France, sont regroupés au sein de plateformes pétrochimiques disposant de leur propre unité de production d’hydrogène. En Île-de-France, le site de Grandpuits (77) accueille à la fois une bio-raffinerie et une usine d’engrais : activités qui sans changements drastiques des modes de transports et des pratiques agricoles poursuivront leur croissance. 

L’hydrogène est également consommé sur d’autres sites industriels (nanomatériaux, verre, acier, laboratoires de recherche, agroalimentaire…) car essentiel à leurs procédés. Moins présents en Île-de-France, une dizaine de sites ont été identifiés. L’exemple du méthanol (utilisé notamment dans les stations d’épuration), produit à partir de l’hydrogène, est emblématique : la consommation francilienne atteint plusieurs milliers de tonnes et pourtant l’approvisionnement est majoritairement étranger. 

Aux niveaux national et européen, les stratégies de transition écologique et énergétique intègrent désormais l’hydrogène comme un élément-réponse aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La "décarbonation" des usages "matière" est estimée prioritaire : le transfert technologique du vaporeformage de gaz naturel à l’électrolyse de l’eau et la diminution des importations d’énergies fossiles sont les pistes privilégiées. 

Au-delà de ses utilisations "matière", l’hydrogène est au coeur de plusieurs ambitions énergétiques. Pour cela, il doit être produit à partir d’énergies primaires, stocké et utilisé via une pile à combustible ou en combustion directe. C’est donc un vecteur énergétique. En sus, l’hydrogène apporte des réponses à de forts enjeux franciliens tels que la qualité de l’air, la pollution sonore et la réduction des émissions de gaz à effet de serre et des polluants atmosphériques

Le développement de la mobilité hydrogène 

Avec ses hubs logistiques majeurs et intermodaux, ses deux grands aéroports et le déploiement de la Zone à faibles émissions, l’Île-de-France concentre besoins et atouts pour le développement d’une mobilité hydrogène. La mobilité lourde et intensive sera prioritairement ciblée par l’hydrogène grâce à ses caractéristiques techniques (en comparaison avec la mobilité électrique : grande autonomie, rapidité d’avitaillement, maintien d’une charge utile pour le transport de marchandises). Les mobilités fluviale et ferrée (hors lignes électrifiées) se positionnent sur une échelle temporelle guère plus lointaine mais où les conflits d’usages avec d’autres sources d’énergie seront plus forts. À terme le secteur aérien envisage l’utilisation d’hydrogène soit directement, soit via des carburants de synthèse, cependant une barrière technologique et économique existe encore. 

Le nombre de stations nécessaires, leurs capacités, leurs futurs emplacements seront conditionnés par les parts de marché de l’hydrogène dans les différents segments de la mobilité. Les premières stations de distribution d’hydrogène voient le jour à proximité des sites logistiques et aéroportuaires et des corridors européens de transport. L’étude montre un besoin d’au moins 24 stations en 2030 et 125 en 2050, avec une répartition de stations distribuant entre une et quatre tonnes par jour. Toutefois, certaines ardeurs doivent être tempérées car il faut cibler en priorité les usages en mobilité les plus pertinents. La compétition avec les véhicules électriques à batterie, les limites physico-chimiques du gaz, le coût du carburant et des véhicules ainsi que le déploiement d’une infrastructure d’avitaillement sont autant de freins à dépasser. 

Projections de consommations et limites de production 

D’ores et déjà importants, les besoins en hydrogène en Île-de-France évolueront à court, moyen et long terme. Les usages actuels de l’hydrogène sont en inadéquation avec les grandes orientations de la transition énergétique et écologique et dans les stratégies nationales et européennes. Quant aux usages futurs ils seront déterminés par l’évolution de la demande en lien notamment avec de nouveaux besoins industriels et de mobilité. Une concurrence des usages de l’hydrogène est à anticiper pour identifier prioritairement les gains environnementaux et écologiques les plus importants. 

Les gains environnementaux et climatiques n’existent que si l’hydrogène est bas-carbone ou renouvelable. La technologie la plus adéquate pour obtenir ces deux hydrogènes est l’électrolyse de l’eau. La source d’électricité doit nécessairement être renouvelable et/ou bas-carbone pour respecter les seuils d’émissions de CO2 par kg d’H2 en vigueur. Toutefois, quatre points d’attention sont à considérer comme freins à l’implantation de la filière hydrogène et avertissements pour construire une hiérarchie des usages : 

  • Le coût de production 
  • Le rendement de la chaîne énergétique 
  • La consommation de ressources territoriales et environnementales 
  • Le transport de l’hydrogène 

Le développement des EnRR, en soutien d’une filière hydrogène, nécessite de prendre en compte les besoins fonciers et en ressources. Deux grandes solutions existent pour produire de l’hydrogène bas-carbone : utiliser le mix électrique français, mix produit hors Île-de-France ou développer des projets EnRR. Une augmentation substantielle des capacités de production d’électricité renouvelable et bas-carbone est nécessaire pour absorber ces nouveaux besoins, et ce dans un contexte à la fois d’électrification des usages et d’efforts de sobriété et d’efficacité énergétique. 

L’étude propose une vision prospective des besoins d’hydrogène dans ces usages industriels, énergétiques, et en mobilité à 2030 et 2050. Deux scénarios ont été étudiés : le premier envisage un développement tendanciel de la filière, et le second illustre les prémices d’une "économie de l’hydrogène". Ils mettent en avant un développement nécessaire d’une offre d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone. Plusieurs logiques de production apparaissent : une production centralisée (50 à 400 MW par usine) pour décarboner les plateformes industrielles et nécessitant d’investir dans une nouvelle infrastructure gazière de transport d’hydrogène, une production semi-centralisée (5 à 50 MW) bénéficiant d’énergies renouvelables et de récupération à proximité et permettant de bénéficier aux territoires voisins, ou une production décentralisée (1 à 10 MW) via la logique actuelle des écosystèmes territoriaux hydrogène, plus prudents dans les perspectives d’usage. 

Quels territoires pour des écosystèmes hydrogène ? 

L’ADEME accompagne à la fois la production massive d’hydrogène sur les plateformes industrielles et les écosystèmes territoriaux hydrogène grâce à un appel à projets. Sans véritable cohérence à ce jour, ces projets se construisent en fonction d’opportunités foncières, denrée rare, et d’acteurs prêts à s’engager pour sécuriser des usages. L’un des objectifs de cette étude était de repérer et d’analyser des territoires potentiels pour des écosystèmes territoriaux hydrogène en intégrant à la fois la vision de l’ADEME et les spécificités territoriales franciliennes. Ainsi l’étude propose quatre types d’écosystèmes permettant d’illustrer des enjeux inhérents à la filière hydrogène : l’écosystème local, l’écosystème démonstrateur, l’industriel et celui de coopération interrégionale. L’étude a permis d’identifier, à la suite d’une analyse cartographique multicritères, les territoires pertinents pour accueillir ces écosystèmes territoriaux hydrogène. 

Des zones d’intérêt privilégiées ont ainsi clairement été mises en évidence pour la mobilité mais aussi pour l’industrie. Ces zones répondent à des enjeux territoriaux profonds comme la qualité de l’air, la pollution sonore, la production d’électricité locale. L’installation de projets hydrogène au coeur de ces zones, en amont et en parallèle de l’étude signifie un attrait partagé pour ces territoires mais bien d’autres restent à investir. 

Cette analyse cartographique vise à la fois à accompagner des porteurs de projet à cibler prioritairement les zones d’intérêt pour démarrer la filière, et donner des clefs de lectures aux collectivités territoriales pour faciliter leurs états des lieux et perspectives. 

L’hydrogène n’est pas la solution miracle mais il permettrait avec un ciblage attentif et en cohérence avec les orientations stratégiques actuelles de résoudre une partie des problématiques liées à l’utilisation d’énergies fossiles, aux émissions de GES et de polluants atmosphériques de certains secteurs d’activité. 

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