Rénovation énergétique des logements : pourquoi ça patine ?

Note rapide Société-Habitat, n° 980

20 avril 2023ContactFranziska Barnhusen, Lucile Mettetal

La rénovation énergétique des logements est une priorité nationale qui se traduit essentiellement par des objectifs chiffrés. Le rythme de logements rénovés s'accélère, mais les travaux sont-ils en adéquation avec les objectifs ? En effet, mal assumée, la double ambition de la rénovation énergétique, environnementale et sociale, peut se heurter à des contradictions entravant sa mise en œuvre. Aujourd'hui, définir des priorités et adopter une approche ciblée des ménages et des logements visés semble nécessaire.

La révision de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) à partir de 2018 a été l’occasion de constater que les émissions de gaz à effet de serre des bâtiments ne suivent pas la trajectoire de baisse prévue. L’écart avec les budgets carbone définis pour ce secteur s’élève à 39 millions de tonnes équivalent CO2 (Mt CO2eq) sur la période 2015 à 2018. La SNBC attribue ces mauvais résultats « aux rénovations dont le rythme et l’ampleur sont insuffisants ». En outre, en moyenne, seules 0,2 % des rénovations annuelles du bâti auraient été performantes entre 2012 et 2016 selon le Haut conseil pour le climat. Une rénovation est jugée « performante » si elle permet au logement d’atteindre le niveau de performance « Bâtiment basse consommation » (BBC), soit l’équivalent des étiquettes énergétiques A ou B. Afin de remettre le secteur résidentiel sur la trajectoire vers la neutralité carbone, la SNBC, adoptée en 2020, prévoit un rythme annuel de 370 000 rénovations équivalentes BBC en moyenne jusqu’en 2030, puis atteignant 700 000 rénovations. Ces objectifs sont formulés sans hiérarchisation des cibles concernant le profil des ménages et le type de bâti. Or, les ménages n’ont pas tous les mêmes capacités financières à engager des travaux, et certains ont basculé dans la précarité énergétique. Parallèlement, certains bâtiments présentent des facilités techniques pour leur rénovation, permettant d’appliquer des solutions similaires à un grand nombre d’immeubles, quand d’autres présentent des contraintes techniques et patrimoniales. La politique nationale de rénovation énergétique renvoie à deux objectifs principaux, l’un écologique, l’autre social. Vu sous l’angle de la décarbonation du parc immobilier, le cap à atteindre est clairement fixé : « aboutir au niveau assimilable aux normes BBC en moyenne sur la totalité de ce parc en 2050 ». Vu sous l’angle des enjeux sociaux, l’impact de mesures plus coercitives (à l’instar des interdictions de location des « passoires thermiques ») sur le parcours résidentiel est difficile à évaluer. Elles portent le risque de soustraire du marché les rares logements que les ménages pauvres sont capables de payer et de créer un marché clandestin. Aujourd’hui, les acteurs de terrain témoignent de difficultés à concilier l’accompagnement des ménages vers des rénovations performantes et les objectifs nationaux visant une forte accélération du rythme des opérations. Face à ces constats, quelles sont les contradictions structurant les politiques de rénovation énergétique des logements, et comment les dépasser ?

UN ÉLARGISSEMENT PROGRESSIF DES DISPOSITIFS D’AIDE À L’IMPACT DIFFICILEMENT ÉVALUABLE

Pour accélérer la rénovation du bâti, la puissance publique mobilise deux leviers. Le premier est réglementaire, et le second est incitatif via un arsenal de dispositifs d’accompagnement et de financement. Les moyens financiers mis en oeuvre à l’échelle nationale pour assurer la transition énergétique du parc résidentiel sont nombreux et en croissance. Ces dernières années, les priorités et les critères de l’aide financière à la rénovation des logements ont considérablement évolué. Initialement, le dispositif « Habiter mieux », déployé par l’Agence nationale d’amélioration de l’habitat (Anah) à partir de 2010, était réservé aux ménages les plus modestes. Pour les ménages plus aisés, l’aide à la rénovation énergétique prenait la forme d’incitations fiscales. Par la suite, les réformes ont eu pour ambition d’élargir les cibles. En 2013, le nombre de ménages éligibles au dispositif « Habiter mieux » augmente grâce au relèvement des plafonds de revenus applicables. En 2017, des aides collectives aux copropriétés sont mises en place5, et, en janvier 2021, l’aide « MaPrimeRénov’ » (remplaçant « Habiter mieux ») est ouverte aux ménages intermédiaires et aisés. L’ambition de la massification s’impose. Au fil des amendements, les intitulés et les conditions d’éligibilité des aides ont été modifiés. La Cour des comptes évoque ainsi des « réformes fréquentes qui ont nui à leur lisibilité ». Difficile pour les ménages et, parfois, pour les acteurs de la rénovation eux-mêmes, d’identifier l’ensemble des aides auxquelles un foyer a accès. L’instabilité des aides et des règles de cumul entrave aussi le déploiement des dispositifs. Entre l’ouverture d’un dossier et la fin des travaux, les aides peuvent évoluer, qu’il s’agisse des montants ou des conditions d’éligibilité. Plusieurs mesures ont été adoptées au niveau national pour répondre à ces difficultés. Une refonte du système d’accompagnement via des conseillers de proximité est lancée en 2021, à la suite du rapport Sichel6. L’objectif est alors de simplifier les dispositifs d’aide et d’accompagnement en les centralisant sous le seul pilotage de l’Anah. Le lancement de la marque « FranceRénov’ » vise à augmenter la visibilité des services d’accompagnement. Adoptée en 2021, la loi Climat et résilience marque une nouvelle étape dans la stratégie de rénovation. Elle impose des mesures coercitives aux propriétaires de logements à faible performance énergétique (étiquettes énergétiques E, F ou G). En effet, depuis août 2022 les propriétaires bailleurs de ces logements très énergivores n’ont plus le droit d’augmenter leur loyer et seront progressivement concernés par des interdictions de location. À défaut d’une obligation explicite de rénovation énergétique, ces interdictions visent à inciter les propriétaires bailleurs à investir dans la rénovation de leur bien. Cependant, ces nouvelles mesures ne semblent pas encore engendrer la dynamique espérée. L’annonce de l’ouverture des aides à toutes catégories de revenus et la campagne de communication associée ont déclenché un engouement sans précédent autour de MaPrimeRénov’. En effet, le nombre de demandes de subvention a plus que triplé entre 2020 et 2021.Malgré cet effet de massification, très peu de propriétaires se lancent dans des rénovations globales. De plus, la faible circulation des données sur les travaux réalisés et les résultats obtenus rend laborieuse toute évaluation, que ce soit à l’échelle régionale ou nationale. Par conséquent, l’appréciation de la politique d’aides se fonde bien plus sur les moyens déployés que sur les résultats.

MIEUX CONCILIER AMBITIONS ENVIRONNEMENTALE ET SOCIALE

Les objectifs en matière de rénovation énergétique renvoient d’une part à la SNBC, et d’autre part à des enjeux sociaux, de lutte contre la précarité énergétique. Si les objectifs de décarbonation du parc résidentiel sont définis à long et moyen termes, les situations d’extrême fragilité dues au coût de l’énergie, l’absence de chauffage dans certains logements et les conséquences du froid sur la santé des occupants nécessitent des réponses rapides. La précarité énergétique désigne la situation d’une personne éprouvant « dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire pour satisfaire à ses besoins élémentaires ». Ces ménages représentent 10,5 % des Français, qui cumulent un état de pauvreté et des frais importants engendrés par un logement peu performant. L’enjeu ne concerne pas uniquement ces populations. Au cours de l’hiver 2020, 60 % des Français déclarent avoir restreint le chauffage pour alléger leur facture et 20 % des Français déclarent avoir souffert du froid. Phénomène plus récent, 59 % des Français ont souffert d’un excès de chaleur dans leur logement durant l’été 2021. La lutte contre la précarité recourt souvent à des modes d’intervention plus modulables et rapides, tandis que l’impératif environnemental plaide pour des travaux d’ampleur bien coordonnés. L’idéal de la performance se confronte à la réalité : les contraintes financières des ménages, leur appréhension à engager une rénovation importante et l’urgence de certains travaux. Destinée aux plus modestes, MaPrimeRénov’ Sérénité encourage l’adoption d’une démarche complète et la réalisation de travaux d’envergure. Le dispositif finance en effet des bouquets de travaux permettant un gain énergétique de 35 %. Mais l’absence de reste à charge pour les ménages est conditionnée par le cumul des aides s’ajoutant à celles de l’Anah, à travers les subventions des collectivités territoriales et locales, des associations caritatives comme la Fondation Abbé Pierre ou encore des caisses de retraite. Par ailleurs, les aides étant versées à l’issue des travaux, les ménages doivent obtenir un préfinancement bancaire. Or, les publics visés – ménages peu solvables et personnes âgées – n’ont pas facilement accès au crédit. Si l’éco-prêt à taux zéro pour financer des travaux de rénovation énergétique existe, il n’est pas accordé par tous les établissements bancaires. Autant d’obstacles qui freinent la rénovation performante pour les ménages à faibles revenus. Conditionner l’accès à des subventions ayant en partie une visée sociale (dans l’optique de la lutte contre la précarité énergétique et l’habitat indigne) à des critères environnementaux (comme un gain énergétique minimal à atteindre) a pour conséquence de faire renoncer une partie des ménages à une rénovation globale. D’autant plus si le gain prévisionnel, calculé lors de la conception du programme de travaux, reste inférieur au seuil fixé (35 % dans le cas de MaPrimeRénov’ Sérénité) ou si le reste à charge s’avère trop élevé dans le scénario permettant de débloquer les aides. Pourtant, les acteurs s’accordent à signifier que pour sortir durablement de la précarité énergétique, seule une rénovation globale est efficace.

ARTICULER MASSIFICATION ET PERFORMANCE

Vouloir rénover l’ensemble du parc résidentiel au niveau BBC pour 2050, c’est mener de front tant l’ambition de rénovation massive que celle de rénovation performante. Or, ces exigences renvoient historiquement à des approches et à des enjeux différents. Actuellement, ce sont les travaux simples de rénovation énergétique (changement du système de chauffage, remplacement des fenêtres, etc.) qui sont menés massivement. En témoigne le bilan 2021 de MaPrimeRénov’ : sur 644 073 dossiers financés en 2021, 19 % seulement étaient des dossiers « multi-gestes ». En revanche, les opérations de rénovation globale et performante ne se réalisent que ponctuellement, et souvent grâce à une mobilisation importante de moyens techniques et financiers de la part des pouvoirs publics locaux. On peut citer l’opération de rénovation groupée de maisons individuelles dans la commune de Canéjan (Gironde), financée dans le cadre d’un appel à projets de la Région Nouvelle-Aquitaine à hauteur de 5 000 euros par logement, auquel s’ajoute le financement du coût de l’audit et de la maîtrise d’oeuvre. Les financements sont conditionnés par l’atteinte de la performance BBC à la fin des travaux. Sur 70 ménages de la commune ayant réalisé un audit énergétique, 46 ont réellement entamé des travaux visant un niveau BBC. Ce taux de transformation exceptionnel s’explique par l’ampleur de l’accompagnement technique et des financements mobilisés par la collectivité. En Île-de-France, des exemples similaires existent, comme l’« Opération Habitat Qualité », portée par l’établissement public territorial (EPT) Grand Paris Seine Ouest pour faciliter des projets collectifs de rénovation énergétique en copropriété. En complément aux aides nationales, l’EPT octroie des aides financières conséquentes aux syndicats de copropriétaires et des subventions individuelles afin de réduire la quote-part des ménages les plus en difficulté. En 2020, cette opération avait déjà permis d’engager des travaux dans dix copropriétés, pour un gain énergétique moyen estimé à plus de 40 %. Par conséquent, les seuls dispositifs nationaux d’aides semblent actuellement insuffisants pour multiplier les travaux performants. Afin d’inciter les ménages intermédiaires et aisés (qui ne peuvent prétendre à MaPrimeRénov’ Sérénité) à la rénovation performante, il existe un forfait « rénovation globale », à condition d’atteindre un gain énergétique de 55 %. Comme pour MaPrimeRénov’ Sérénité, son taux de financement est souvent inférieur aux aides « par geste » ; or les ménages se retrouvent souvent à adapter leur stratégie de rénovation en fonction de l’aide qui sera pour eux la plus rentable à court ou moyen terme. Dans le bilan 2021, seulement 2 % des dossiers financés concernaient des travaux avec un gain énergétique d’au moins 55 % et 6 % avec un gain énergétique d’au moins 35 %. En d’autres termes, la performance implique une exigence et une maîtrise techniques, alliées à une réflexion sur l’ensemble du parcours de rénovation. Elle implique une vision globale du projet de travaux avant son lancement, là où la rénovation par additionnement de travaux simples se fait par étapes rarement coordonnées. Les acteurs de terrain observent que le seuil de gain énergétique minimal imposé par certaines aides se transforme de facto en plafond. En effet, les propriétaires chercheront rarement à pousser les travaux plus loin que le gain nécessaire pour débloquer les aides. De plus, le gain énergétique visé est décorrélé de la performance initiale du bâtiment et, à l’achèvement des travaux, un nouveau diagnostic de performance est rarement réalisé, ce qui complique le suivi de l’évolution de la performance du parc. Actuellement, l’appel à la massification de la rénovation ne prend pas en considération la disparité des marges d’action, qui dépendent des caractéristiques architecturales des bâtiments. Nombre d’acteurs de l’accompagnement en Île-de-France jugent que certains logements ne peuvent pas atteindre le niveau BBC, notamment pour des raisons patrimoniales (interdiction d’isolation par l’extérieur pour des bâtiments situés dans des périmètres protégés, par exemple). Cela implique soit de revoir les normes de protection patrimoniale afin de faciliter la rénovation performante, soit d’accepter que la rénovation performante ne soit pas possible (techniquement et/ou financièrement) sur une partie du parc. Par conséquent, il serait pertinent de réfléchir aux leviers alternatifs mobilisables, afin d’atteindre, sur ces bâtiments, les objectifs environnementaux et sociaux. Une solution possible serait de s’appuyer sur le développement de réseaux de chaleur alimentés en énergie de récupération, pour diminuer la vulnérabilité des ménages aux augmentations des prix du gaz et du fioul, et décarboner l’énergie de chauffage.

LES ACTEURS LOCAUX EN PREMIÈRE LIGNE FACE À UNE INADÉQUATION ENTRE OFFRE ET DEMANDE

La limite des dispositifs d’aide à la rénovation énergétique des logements est résumée par le récent référé de la Cour des comptes, qui souligne que « la notion même de rénovation énergétique reste imprécise » dans les textes réglementaires, car « la rénovation énergétique peut recouvrir différentes formes d’intervention ». Actuellement, la volonté de centralisation des acteurs et des dispositifs, partant d’un souci de simplification des démarches, ne rend pas compte de la diversité des formes d’intervention nécessaires ni de la diversité des objectifs politiques qui y sont attachés. Ce sont souvent les acteurs locaux d’accompagnement qui sont confrontés à la complexité des réalités des ménages venus les consulter. Elle entre en contradiction avec la communication nationale d’un dispositif d’aide unique et ouvert à tous. Concernant les ménages très modestes, alors qu’ils bénéficient d’un taux de financement plus important que les ménages plus aisés, le reste à charge est toujours trop élevé pour mener un projet global et performant, si la collectivité ne propose pas des aides et un accompagnement supplémentaires. Les ménages intermédiaires et aisés, attirés par la communication sur l’ouverture de MaPrimeRénov’ à toutes les catégories de revenus, peuvent être négativement surpris par le faible montant auquel ils ont réellement droit. Enfin, si la demande de rénovation énergétique augmente avec les subventions, l’offre n’est actuellement pas en capacité de suivre cette évolution. En effet, la disponibilité de main-d’oeuvre qualifiée représente un frein majeur. Par conséquent, il s’agit de structurer une filière aujourd’hui insuffisante au regard des objectifs et de faire monter en compétences l’ensemble des acteurs du secteur du bâtiment autour du fil rouge de la performance énergétique.

Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Habitat et logement | Efficacité énergétique