Tourisme durable : des entreprises proposent des solutions concrètes

Note rapide Tourisme, n° 954

05 octobre 2022ContactMaxime Kayadjanian, Marion Tillet

Face à l'urgence climatique et aux nouvelles attentes des clients, l'évolution des entreprises touristiques vers des modèles plus sobres, à faible émission de carbone et économes en ressources est une nécessité. Elle peut aussi être la source de nouveaux avantages concurrentiels. Comment transformer leurs pratiques tout en restant réellement compétitives sur les marchés ?

Secteur économique majeur, le tourisme est en mutation face à l’impératif environnemental. Si les retombées économiques et les emplois qu’il génère sont depuis longtemps valorisés et encouragés par les politiques locales, les pressions et contraintes exercées sur l’environnement et les populations accueillantes peuvent être importantes : impacts sur les paysages, pressions sur les ressources naturelles, pollutions, émissions de gaz à effet de serre (GES)… L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) estime que le secteur du tourisme en France a émis 118 millions de tonnes de CO2 équivalent en 2018, soit l’empreinte carbone annuelle de 11 millions de Français : les transports représentent 68 % de ces émissions de GES (il s’agit des modes d’arrivée sur le territoire national et de départ, ainsi que de la mobilité au sein du territoire visité – le choix modal a une influence majeure sur l’empreinte carbone du séjour) ; les secteurs de l’hébergement et de la restauration représentent respectivement 7 % et 6 % des émissions (cela concerne les matériaux de construction, l’exploitation des bâtiments – consommation d’énergie et achat de consommables – et les modes d’approvisionnement) ; les activités de sports, loisirs et culture représentent, pour leur part, 1 % des émissions.
L’impact environnemental et sociétal du tourisme interroge l’activité elle-même, au point que sa pérennité semble désormais étroitement liée à sa capacité d’adaptation à ces enjeux. Pour contribuer à l’évolution du modèle touristique, L’Institut Paris Region s’est impliqué en animant des ateliers de travail avec des entreprises du voyage et de l’hébergement touristique dans le projet européen TouriSME. Il vise à encourager les entreprises de l’hébergement touristique (hôtel, résidences de vacances, etc.) et du voyage (agences de voyages, tour operators…) à explorer et à adopter des solutions, à travers une collaboration entre des PME en France, en Espagne, en Italie et à Chypre. L’Institut Paris Region s’est engagé, dans le cadre de ce projet, à accompagner vingt entreprises françaises dans la mise en place de pratiques de tourisme durable, au travers de quatre ateliers de formation et de deux séminaires impliquant également des entreprises des pays partenaires. Plusieurs champs ont été investigués : économies d’énergie, gestion de l’eau, gestion des déchets, processus d’achat, consommation responsable, mobilité ou encore conception des voyages. Les entreprises ont été sélectionnées à la suite d’un appel à candidatures publié dans les quatre pays partenaires en juin 2021. Sur 158 PME qui se sont portées candidates, 65 ont été retenues.

DES ENGAGEMENTS ET DES PRATIQUES ENCORE TIMIDES

Dès le lancement du projet TouriSME, l’université de Pise, qui en est partenaire, a mené une enquête de janvier à mars 2021 auprès des PME du tourisme localisées dans les quatre pays, et a ensuite exploité les 256 réponses obtenues. Le premier constat de l’enquête est que 78 % des entreprises répondantes n’ont aucune sorte de certification. Seules 9 % et 2,7 % des PME sont respectivement certifiées ISO 9001 et ISO 14001. De plus, à peine plus de 6 % d’entre elles sont certifiées par l’Ecolabel européen, ce taux descendant à 1,2 % pour le label européen Environment Management and Audit Scheme (EMAS ; voir graphique ci-dessous).
Les PME expliquent ce constat en indiquant que la demande ou les attentes des partenaires, des fournisseurs et des associations professionnelles en matière d’adoption d’un système de certification environnementale ou d’écolabel dans l’industrie du tourisme sont encore très faibles.
Si l’on s’intéresse aux pratiques déjà mises en oeuvre, l’enquête montre que la plupart des PME se concentrent sur la gestion des déchets. 47,3 % d’entre elles pratiquent déjà le recyclage, tandis que 19,1 % ont commencé à le mettre en œuvre. Quant à la consommation d’énergie et au gaspillage alimentaire, 34 % des entreprises les réduisent déjà. 32,4 % et 31,6 % des PME ont également mis en œuvre avec succès des mesures visant à réduire respectivement l’utilisation du plastique et la consommation d’eau. La réutilisation de l’eau affiche, a contrario, le taux d’adoption le plus faible. En ce qui concerne les autres pratiques, le niveau global d’adoption n’est pas élevé, notamment celui de la promotion des mobilités durables et a fortiori celui de la réutilisation de l’eau (voir graphique ci-dessous).

 

DES FREINS À L’ADOPTION DE BONNES PRATIQUES

Les retours d’expérience des entreprises françaises engagées dans une évolution de leurs pratiques permettent d’identifier un certain nombre de freins à leur adoption.
Ainsi, le tri des déchets est mis en oeuvre par l’ensemble des PME interrogées, mais semble perfectible pour certaines d’entre elles. En effet, si des poubelles de tri sont installées dans les parties communes d’un hôtel, il s’avère qu’il y a peu de suivi quant à la bonne utilisation de celles-ci, tant au niveau des clients que du personnel. Il y a un réel enjeu de suivi, de sensibilisation et d’information afin de faire adopter aux entreprises cette pratique. L’installation de poubelles de tri dans les chambres pose également la question de l’esthétisme des réceptacles et de l’espace disponible. Enfin, de manière plus globale, une réflexion est à mener sur le choix des prestataires de collecte et de recyclage, afin de s’assurer du respect et de la bonne efficacité de leur mission. Le temps à consacrer par les hébergeurs à la mise en oeuvre de la gestion des déchets dans sa totalité (sensibilisation, signalétique, suivi, choix des équipements et des prestataires…) est un obstacle important.
Quant aux pratiques d’économie d’énergie et de réduction de la consommation en eau à l’échelle du bâtiment, au-delà du coût que leur mise en œuvre peut impliquer (travaux d’isolation, de rénovation du système de chauffage, de climatisation…), le statut de propriétaire exploitant ou d’exploitant seul est impactant. En effet, les travaux d’isolation et d’économies d’énergie diminuent les coûts d’exploitation de l’utilisateur du site, mais augmentent les dépenses d’investissement des propriétaires, qui ne bénéficieront pas des retombées immédiates, n’étant pas directement concernés par les économies d’énergie générées.

L’ENGAGEMENT EN FAVEUR DU TOURISME DURABLE SOULÈVE DES CONTRAINTES

Ainsi, une étude nationale, pilotée en janvier 2022 par Tourisme Bretagne en partenariat avec ADN Tourisme et l’Union nationale des associations de tourisme (Unat), montre un intérêt grandissant des Français pour un tourisme plus responsable. Sur les 5 000 vacanciers interrogés, 70 % envisagent de voyager de manière plus écologique. Parmi eux, 66 % s’engagent à respecter l’environnement naturel qu’ils traversent, 56 % à acheter des produits locaux, 53 % à mieux gérer leurs déchets, et enfin 50 % à mieux choisir leur hébergement. Par ailleurs, une étude récente du Comité régional du tourisme (CRT) de Nouvelle-Aquitaine (échantillon de près de 1 800 personnes) souligne que l’impact du séjour sur l’environnement et sur la vie locale ou encore les engagements pris par la destination en matière de tourisme durable n’entrent pas encore dans les critères déterminants de choix d’un lieu de vacances. L’étude pointe les ressentis suivants : un prix plus élevé des prestations pour 44 % des personnes interrogées, un tourisme qui serait trop contraignant pour 35 %, une perte de confort pour 24 %, un déficit d’information et un manque de visibilité de l’offre pour 24 %, et enfin des messages culpabilisants à l’égard des visiteurs pour 17 %. Le tourisme durable renvoie dans l’imaginaire de la clientèle à un tourisme coûteux, sobre et raisonnable, alors qu’eux-mêmes souhaitent profiter de leurs vacances et justement ne pas se restreindre, sortir de leur quotidien parfoi déjà très contraint. Selon leurs perceptions, le tourisme durable va donc à l’encontre même des objectifs recherchés. Cette difficulté pousse les entreprises à mettre en place un discours positif et engageant pour le rendre désirable. La valorisation des charmes des territoires et de ses habitants ou la préservation des richesses patrimoniales et de la biodiversité locale sont promues comme autant d’expériences riches à vivre.
Pour une agence de voyages, cet engagement en faveur d’un tourisme durable implique de renouveler l’offre initiale, de consacrer du temps à l’identification de nouveaux services et prestataires. Les acteurs de l’hébergement disposent également de nombreux leviers d’action, qui peuvent cependant être source d’investissements financiers importants lorsqu’il s’agit, par exemple, de reprendre les systèmes de chauffage ou de climatisation. De plus, les souhaits de sobriété des hôteliers pour limiter, par exemple, les kits de bienvenue, les contenants de produits d’hygiène, les minibars dans les chambres ou les outils numériques sont souvent mal compris, a fortiori dans l’hôtellerie haut de gamme.
Le temps d’accompagnement et de sensibilisation est un paramètre à prendre en considération dans la commercialisation d’un voyage ou dans l’accueil d’un visiteur. Il nécessite des efforts de formation (acculturation sur les enjeux environnementaux), de structuration de l’offre (sur quelles pratiques on veut se positionner, dans quel ordre de priorité…) et de disponibilité du personnel pour mener ce travail.

UNE FENÊTRE D’OPPORTUNITÉ POUR ACCÉLÉRER LE MOUVEMENT EN ÎLE-DE-FRANCE

Alors que 2022 marque une reprise importante du tourisme, l’Île-de-France retrouvant progressivement sa place dans le top 5 des destinations touristiques mondiales, cette année est aussi celle de la prise de conscience des enjeux du dérèglement climatique : canicules à répétition, sécheresses et incendies dans des lieux de vacances inédits (en Bretagne, notamment)… Dans ce contexte, un discours engageant et positif sur le tourisme durable, et surtout une accélération des offres de tourisme écoresponsables auprès des clientèles de l’Île-de-France sont essentiels. Pour y parvenir, il est important d’accompagner les entreprises du tourisme soucieuses de faire évoluer leurs offres. Le projet européen TouriSME a permis d’identifier près de 70 bonnes pratiques facilement appropriables, qui sont accessibles directement en ligne afin de faciliter leur diffusion (voir la boîte à outils Genially ci-dessous). ■

Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Économie | Tourisme | Déchets d'activités économiques | Sobriété énergétique