La sobriété énergétique en Europe

Dossier

19 janvier 2021ContactMarie-Laure Falque Masset

La sobriété énergétique, energy sufficiency en anglais, est l’objet de recherches de plus en plus nombreuses tout en étant également mise en application dans différents projets, différents pays. Elle est malgré tout souvent le parent pauvre des politiques publiques qui développent des stratégies d’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables en ratant cette première marche de la transition énergétique.
La sobriété énergétique est une approche qui vise à réduire les consommations d’énergie à travers des changements de comportements, de styles de vie et d’organisation collective.
La sobriété nous fait nous interroger sur nos aspirations. C’est un changement complet de philosophie :
Je n’ai pas besoin de chauffage mais d’être à la bonne température de confort.
Je n’ai pas besoin d’une voiture mais j’ai besoin de me déplacer.
Je n’ai pas besoin d’un smartphone mais j’ai besoin de communiquer.
Je n’ai pas besoin d’un ordinateur mais j’ai besoin de travailler, me divertir, échanger.
Le but n’est pas le produit mais le service rendu et cette approche permet de remettre le bien-être individuel et collectif au centre des réflexions. En outre, la sobriété peut représenter jusqu’à 30% de la diminution des consommations d’énergie à travers les efforts individuels et collectifs de la société.
L’objet de ce dossier est de donner à voir différents projets de sobriété à travers l’Europe que ce soit dans les bâtiments, l’espace public et les transports ou dans le numérique.
négaWatt distingue quatre leviers de sobriété pour lesquels nous pouvons trouver des exemples d’illustration :

Sobriété énergétique : bâtiments et citoyens

Les téléviseurs sont de plus en plus efficaces mais ils sont de plus en plus grands, les lave-linges consomment de moins en moins mais le volume est passé de 5 à 10 kg, les réfrigérateurs sont également proposés dans des tailles de plus en plus importantes. L’efficacité énergétique des appareils domestiques a augmenté mais dans le même temps, nous achetons plus grand ; c’est l’effet rebond. Il en est de même pour les téléviseurs et pour l’informatique. La performance énergétique des appareils s’est accrue notamment à la faveur des politiques européennes.
La directive cadre 2009/125/CE sur l’écoconception des produits fixe le niveau des performances énergétiques et environnementales que les fabricants de produits ou équipements doivent respecter pour pouvoir les mettre sur le marché européen. La réglementation européenne relative à l’étiquetage a reposé depuis 2010 sur la directive cadre de 2010/30/UE, mise en œuvre par des règlements qui classent les produits sur une échelle de couleurs afin de permettre aux consommateurs de comparer les performances des produits proposés à la vente. Cette directive cadre permettait notamment aux fabricants de classer leurs produits sur une échelle allant d’A+++ à G. Elle a été remplacée en 2017 par le règlement 2017/1369 qui introduit une nouvelle échelle de A à G et une base de données européenne des produits.

Il s’agit alors de favoriser la sobriété d’usage. C’est tout le sens du programme DECLICS, déclinaison du projet européen Energy Neighbourhoods.

Créé en 2008 dans le cadre du projet européen Energy Neighbourhood piloté par BS&U en Allemagne, le défi « Familles à énergie positive », intitulé dorénavant DECLICS en France propose au grand public de se mobiliser afin de lutter efficacement contre les émissions de gaz à effet de serre et réduire les factures d’énergie. Le défi propose à des volontaires réunis en équipes et menés par un capitaine, de faire le pari de réduire d'au moins 8 % leurs consommations d'énergie et d'eau, particulièrement durant l'hiver, en adoptant des gestes simples au quotidien, faciles à réaliser et qui ne demandent aucun équipement particulier, et tout en étant accompagné par une structure locale. Celle-ci fournit des conseils, voir des appareils de mesures, interrupteurs de veilles ou économiseurs d’eau. La durée du défi est suffisamment longue pour pouvoir ancrer de nouveaux réflexes.

Entre 2008 et 2015, plus de 30 000 comptes ont été créés. Les équipes ont permis de réaliser 12 % d'économies en moyenne sur les consommations énergétiques soit environ 200 euros par an, par foyer, sans investissement financier ainsi qu'une économie d'eau de 13 % en moyenne, le tout ayant permis d'éviter l'émission de 1400 teq CO2. Le projet est dorénavant coordonné au niveau national par le CLER et ce sont majoritairement les ALEC qui le mettent en œuvre sur le plan local.

Il n’y a toutefois pas que les équipements qui sont concernés par la sobriété dans le bâtiment, il s’agit aussi de créer les conditions favorables de la sobriété au niveau du bâti. L’association européenne ECEEE réfléchit à une meilleure utilisation des espaces : adaptation de la taille des logements aux besoins, taxation plus faible pour les plus petits logements, logements flexibles s’adaptant aux différentes phases de la vie. Pour ECEEE, « la sobriété énergétique va au-delà de l'efficacité énergétique : il s'agit d'en avoir assez mais de ne pas en consommer trop. Il s'agit de faire les choses différemment, de vivre bien, dans les limites. ».

Sobriété énergétique dans les transports et l’espace public

L’objectif est de pouvoir aménager la ville et créer les infrastructures nécessaires pour offrir une ville apaisée et sans îlots de chaleur qui favorise la sobriété individuelle. Cela peut passer par le rafraichissement de l’espace public avec des matériaux qui ne retiennent pas la chaleur, l’installation de protections solaires extérieures dans les rues piétonnes, la végétalisation, l’extension des voies piétonnes et cyclables et du nombre d’équipements urbains associés, le développement de l’offre de transports publics, des offres de services de proximité, etc.

Sobriété structurelle, Barcelone à la pointe de l’urbanisme tactique avec les supermanzanas
En 2017, la ville de Barcelone s’est engagée dans un projet de refonte de ses espaces urbains, notamment via la création de «supermanzanas » ou  « superilles » (ou super-îlots) se caractérisant par des rues semi-piétonnes, des trottoirs élargis, des carrefours transformés en espaces de vie et en jardins publics, et bien sûr par une circulation automobile réduite à sa plus simple expression, avec une vitesse limitée à 10 km/h.

Les supermanzanas ou super-îlots développés par l’Agence d’Écologie Urbaine de Barcelone ont été pensés pour rendre la ville plus durable et sont fondés sur quatre principes : compacité (facilite la proximité et la mixité d’usage), complexité (ville polycentrique autour de la mixité d'usages complémentaires organisés en réseau pour qualifier l'organisation urbaine), efficacité (améliore le métabolisme urbain) et cohésion sociale (interaction entre des groupes de personnes d'âges, de cultures ou de revenus différents vivant en ville).

Un super-îlot est composé de plusieurs îlots de bâtiments, "9 carrés Cerdà", soit environ 400 m de côté. Ce tracé définit le réseau de voiries principales et des super-ilots où seuls les véhicules motorisés des résidents et les services municipaux et d'urgence peuvent circuler. Les livraisons sont permises la nuit en dehors des heures où les enfants vont à l'école. L’espace est alors remodelé, arboré et équipé d’espaces de jeux pour enfants. La ville a intégré l’urbanisme tactique dans ce projet en lançant une longue concertation auprès des habitants d’un quartier et en installant des aménagements à caractère transitoire afin qu’ils puissent être testés.

Ce nouvel aménagement de l’espace public avec ces circulations piétonnes et cyclables facilitées est un bon exemple de sobriété structurelle qui comporte aussi des effets bénéfiques au-delà de l’énergie : continuité biologique de la trame verte, amélioration de la qualité de l’air, baisse de l’effet îlot de chaleur, diminution du bruit.

En Suède, la sobriété encouragée par la culture du vélo et la gestion des déplacements
Afin d’atteindre ses objectifs ambitieux de réduction des émissions de GES (réduction des émissions du secteur transport de 70% et interdiction des moteurs thermiques en 2030, zéro émissions nettes et comtés à énergie positive en 2050), la Suède a depuis longtemps intégré des mesures pour favoriser la sobriété énergétique dans ses politiques de déplacements : formation à l’éco-conduite, défis citoyens, développement des modes actifs et du transport public, accès équitable aux transports. Le projet COBIUM notamment avait pour objectif de développer une offre de vélos cargos électriques mis à disposition des citoyens, des services de la ville et des livreurs de marchandises gratuitement par des municipalités. On estime qu’un vélo cargo permet d’économiser 5 tonnes de CO2 par an. L’idée est également d’encourager à l’achat des vélos cargos à partir de cette expérimentation.

En outre, depuis deux ans et demi, plus de 50 municipalités, entreprises municipales et régions de la Suède ont travaillé pour de meilleures réunions numériques. En testant et en apprenant ensemble, les participants au projet REDI ont jeté les bases d'une future culture de réunion numérique dans le secteur public, bien avant la crise actuelle.

Sobriété numérique

Comment pouvons-nous réduire les consommations d’énergie du numérique ? Comment pouvons-nous mieux utiliser le numérique pour mieux consommer ?
La sobriété numérique est une démarche qui vise à réduire l'impact environnemental du numérique. L'expression « sobriété numérique » a été forgée en 2008 par l'association GreenIT.fr pour désigner «la démarche qui consiste à concevoir des services numériques plus sobres et à modérer ses usages numériques quotidiens». Le numérique est responsable, selon un rapport de l'association The Shift Project, de 3,7 % des émissions de CO2 mondiales en 2018 et, selon un rapport de GreenIT.fr, de 3,8 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Il contribue de plus à l'épuisement du stock de ressources abiotiques (minerais) et a des impacts sur la consommation d’eau et sur les consommations d’énergie.

Le poids énergétique et l’empreinte environnementale du numérique

Dans le monde, on dénombre 4,1 milliards d’utilisateurs dans le secteur des TIC et 8 appareils numériques en moyenne par personne. La moitié de la population mondiale est connectée à Internet.

Dans le contexte européen, Dublin, Paris, Francfort, Londres, Amsterdam et Madrid devraient dépasser les 1000MW (1GW) de capacité des datacenters avant 2023. À titre d’exemple, les datacenters irlandais ont actuellement une demande électrique de 480 MW (environ 10 % de la charge électrique nationale).

Si on s’intéresse au cycle de vie des produits, l’étape acquisition des ressources-fabrication distribution représente 80% de l’empreinte environnementale des produits. Le numérique représente 5,2% des émissions de GES dans le monde, 6,2% de la consommation d’énergie primaire, 10,2% de la consommation d’eau et 833 millions de tonnes de ressources abiotiques prélevées.

Moins de 1% des métaux utilisés pour la fabrication d’un smartphone est recyclé.

L’effet rebond

Les appareils numériques sont de plus en plus performants énergétiquement mais en même temps de plus en plus sophistiqués.

Quelles pistes pour déployer la sobriété numérique ?

De nombreux travaux ont été menés par le SHIFT Project sur la sobriété numérique et ce point sera l’objet d’un futur dossier plus complet mais voici déjà quelques pistes de sobriété qui ont notamment été évoquées lors du webinaire sobriété numérique organisé par la FEDARENE et l’AREC en janvier 2021 :

  • Piloter nos choix technologiques, les déploiements d’infrastructures et d’usages associés afin de préserver les apports essentiels du numérique
  • Développer des systèmes d’informations durables dans les organisations
  • Se poser la question de l’utilité d’un appareil avant de l’acheter
  • Étendre la durée de vie des équipements et des appareils
  • Penser au ré-emploi avant de penser au recyclage des appareils électroniques (dont seulement 10-20% sont recyclés de toute façon).

Pour aller plus loin

Le cycle de webinaires FEDARENE / AREC

Revoir le webinaire #1

3 novembre 2020 : Sobriété énergétique, Bâtiments et consommateurs

Intervenants :

Replay : https://www.youtube.com/watch?v=twzOl6AePSY&feature=youtu.be

Revoir le webinaire #2

9 décembre 2020 : Sobriété énergétique, Mobilité et espace public

Intervenants :

Replay : https://www.youtube.com/watch?v=LNVrMP4Gwkc&feature=youtu.be

Revoir le webinaire #3

8 janvier 2021: Sobriété numérique

Intervenants :

Replayhttps://www.youtube.com/watch?v=_UcISdxpB8o&feature=youtu.be

 

Les autres ressources

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