Le développement des énergies renouvelables et de récupération à l’épreuve du ZAN

Note rapide Énergie, n° 993

17 octobre 2023ContactThéo Klein, Lucas Sittler, Thomas Hemmerdinger

La massification des installations de production d’énergies renouvelables et de récupération, peu carbonées, fait partie des solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et accroître l’autonomie énergétique des territoires. Dans une région aux nombreuses contraintes, entre l’accès au foncier et la réduction de l’artificialisation des sols, comprendre et identifier les avantages et inconvénients de chaque mode de production d’énergie en matière d’emprise spatiale apparaît essentiel.

L’objectif « Zéro émission nette » (ZEN) à l’horizon 2050 instauré par l’Accord de Paris sur le climat (2015) et inscrit dans la loi Climat Énergie (2019) requiert la réduction des consommations d’énergie ainsi que le développement d’énergies renouvelables et de récupération (EnRR) pour remplacer les énergies fossiles. Mais le déploiement de nouvelles infrastructures énergétiques présente des risques de conflits d’usage de l’espace, questionnant ainsi leur impact sur la biodiversité et l’atteinte d’un autre objectif, l’objectif « Zéro artificialisation nette » (ZAN) à horizon 2050, promulgué par la loi Climat et résilience (2021). La loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables (2023, voir encadré plus bas) encourage les territoires à développer les EnRR tout en assurant une bonne intégration paysagère, environnementale et sociale des installations. Les communes doivent définir des « zones d’accélération » favorables à l’accueil des projets d’énergies renouvelables, en concertation avec les habitants. Or aujourd’hui, en raison du manque de recul sur le développement de ces nouvelles filières et de la diversité des projets, il existe peu d’informations fiables, partagées et accessibles aux collectivités et aux gestionnaires de patrimoine (entreprises privées, foncières…) sur l’emprise au sol des EnRR. Ces informations sont pourtant primordiales pour bâtir une stratégie globale et transversale d’allocation des ressources foncières et de contribution aux objectifs ZEN et ZAN.

 

 

MASSIFIER LA PRODUCTION D’ÉNERGIES RENOUVELABLES ET DE RÉCUPÉRATION EN ÎLE-DE-FRANCE

92 % des émissions territoriales franciliennes de gaz à effet de serre (scopes 1+2) sont liées à l’énergie. Bien qu’en baisse de 15 % par rapport à 2005, la consommation énergétique de l’Île-de-France s’élève à 195 TWh, dont 68 % sont imputables aux bâtiments (secteurs résidentiel et tertiaire) et 22 % aux transports routiers. Une part majoritaire (60 %) de ces consommations provient de la combustion directe d’énergies fossiles polluantes (produits pétroliers, gaz naturel et charbon). L’autre part est composée de 32 % d’électricité (dont 67 % issue du nucléaire), 5,5 % de chauffage urbain (dont 53 % d’EnRR) et 2,5 % de bois-énergie. La dépendance régionale à des territoires extérieurs pour s’approvisionner en énergie est forte : les EnRR locales ne couvrent que 9 % de l’énergie totale consommée. La chaleur constitue le principal vecteur de production renouvelable et de récupération en Île-de- France (91 %), également répartie en deux segments : la chaleur sur réseaux (valorisation des déchets, géothermie, chaufferies biomasse…) et la chaleur diffuse (pompes à chaleur, chauffe-eaux thermodynamiques, solaire thermique et bois-énergie). Le reste de la production d’EnRR francilienne est assuré par les filières électriques (valorisation des déchets, éolien, solaire photovoltaïque…) et gaz (méthanisation). Accroître l’autonomie énergétique francilienne et diminuer les émissions régionales pour atteindre l’objectif ZEN supposent de réduire les consommations énergétiques d’une part (via la sobriété et l’efficacité) et de développer les EnRR d’autre part. Au-delà du fait de contribuer à atteindre l’objectif ZEN, le déploiement de telles énergies doit permettre de réduire la dépendance de l’Île-de-France non seulement aux énergies fossiles, mais plus largement aux régions voisines et aux pays exportateurs de ressources énergétiques, afin de sécuriser l’alimentation de la région en énergie. Le recours massif aux différents modes de production d’énergie décarbonée est, par conséquent, souhaitable et nécessaire. Il s’inscrit dans un contexte francilien de qualité de l’air dégradée, d’acceptabilité sociale modérée et de rareté foncière accentuée par l’objectif ZAN. Pour tenir compte de ces contraintes, les nouvelles infrastructures énergétiques franciliennes devront être performantes, compactes et déployables dans les zones urbanisées, et favoriser la conciliation de plusieurs usages sur un même espace.

EMPRISE SPATIALE DES EnRR : LES CHIFFRES ET LES USAGES

Au regard de leur gisement disponible et de leur haut degré de maturité pour un développement massif sur le territoire francilien, cinq filières d’EnRR sont susceptibles d’occuper d’importantes emprises au sol : la méthanisation, l’éolien, le solaire photovoltaïque, la géothermie profonde et les chaufferies biomasse (bois-énergie). À ce jour, l’impact spatial des EnRR est assez faible en Île-de-France : environ 250 hectares d’emprise au sol sont consommés par ces installations (soit 0,02 % de la superficie régionale), principalement des unités de méthanisation et des centrales photovoltaïques au sol. La géothermie et les chaufferies biomasse se distinguent par leur caractère compact (très haut niveau de production de chaleur par unité de surface) et leur capacité d’intégration dans le tissu déjà urbanisé. Le déploiement de la géothermie profonde présente les avantages de ne pas dégrader la qualité de l’air et de valoriser une ressource thermique non délocalisable et abondante en Île-de-France. Les chaufferies biomasse sont des installations modulables, avec une large gamme d’emprises au sol, qui peuvent varier de 100 à 20 000 m2 en fonction de la puissance installée. Également déployés pour un usage collectif ou industriel, la méthanisation et l’éolien, qui produisent respectivement du gaz et de l’électricité renouvelables, disposent d’un haut niveau de production énergétique par unité de surface. Ces deux filières présentent des contraintes qui guident principalement leur déploiement en zone rurale. Au-delà de la mobilisation de biomasse agricole, les perspectives de développement de la filière méthanisation sont renforcées par l’obligation du tri à la source des biodéchets au 1er janvier 2024, qui augmentera de façon conséquente la quantité valorisable des déchets alimentaires de l’important bassin de consommation francilien. Alors que les champs éoliens et les centrales photovoltaïques présentent un régime de production électrique intermittent (dépendant notamment des conditions météorologiques), leur surface totale d’emprise au sol peut permettre un co-usage des sols par le maintien d’une activité agricole ou sylvicole. La valorisation de ces productions d’EnRR locales s’accompagnera également du développement de nouvelles infrastructures de transformation (production d’hydrogène vert), de stockage, de transport et de distribution d’énergie (électricité, chaleur ou gaz), dont les emprises spatiales sont également à considérer dans le cadre de la trajectoire ZAN.

 

LES ÉNERGIES RENOUVELABLES VALORISENT LES RESSOURCES DES TERRITOIRES

La substitution des énergies fossiles par les énergies renouvelables permet de réduire nos émissions de gaz à effet de serre pour répondre à l’urgence climatique. Les EnRR jouent un rôle important dans la maîtrise à long terme de la facture énergétique et permettent de relocaliser notre production d’énergie, en produisant et en valorisant les ressources locales, plutôt que d’importer des énergies fossiles dont la volatilité des cours est une source de tensions. Le Schéma régional Climat-Air-Énergie (SRCAE) trace le chemin vers un mix énergétique décarboné mobilisant toutes les EnRR. Les Plans Climat-Air-Énergie (PCAET) territoriaux précisent les priorités et les objectifs de développement de chaque filière. Pour les collectivités et les gestionnaires de patrimoine, l’objectif ZAN apporte une contrainte spatiale, en privilégiant des filières énergétiques compactes, déployables dans les zones déjà artificialisées et dont les co-usages NAF sont possibles. Au regard de son potentiel exceptionnel en Île-de-France, de sa capacité à s’insérer dans les espaces urbanisés et de son haut niveau de production d’énergie par surface au sol consommée, la géothermie profonde apparaît comme un atout clé pour la transition énergétique francilienne. La diversité ainsi que les contraintes géographiques et démographiques du territoire francilien imposent des réflexions transversales autour de la massification des EnRR et de leurs impacts fonciers, environnementaux, paysagers et sociaux. Avec 22 % de sa superficie d’ores et déjà artificialisée ainsi qu’une augmentation de près de 4 % de sa population entre 2009 et 2019, les défis sont grands. Au croisement des objectifs ZAN et ZEN, mieux lutter contre l’artificialisation des sols agricoles, des zones humides et des espaces forestiers est essentiel afin de préserver la biodiversité et les spécificités paysagères de la région, tout en luttant contre le réchauffement climatique.■

 

 

 

 


 

la loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables

Face à la crise énergétique et au dérèglement climatique, un projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables a été adopté par l’Assemblée nationale le 10 janvier 2023, afin de rattraper le retard de la France dans ce domaine. En 2020, la France était le seul pays à ne pas avoir atteint l’objectif de 23 % d’énergies renouvelables fixé par l’Union européenne. Le texte de loi s’articule autour de trois axes :

  • simplifier les procédures afin de raccourcir les délais de développement des projets ;
  • mobiliser des espaces délaissés ou dégradés au profit du solaire et de l’éolien ;
  • mieux partager la valeur des énergies renouvelables avec les territoires.

enr’choix : un outil d’aide à la décision

La démarche EnR’Choix, portée par la Direction régionale Île-de- France de l’Ademe depuis 2012, accompagne les territoires et les gestionnaires de patrimoine dans leur stratégie énergétique en tenant compte des potentiels et des priorités définis dans le Schéma régional Climat-Air-Énergie (SRCAE). EnR’Choix guide vers la sobriété et l’efficacité énergétique, la mutualisation des besoins, la priorisation des énergies renouvelables pour le chauffage, le refroidissement et l’eau chaude sanitaire des bâtiments. EnR’Choix met également à disposition un centre de ressources : exemples d’opérations, guides et cahiers des charges, bonnes pratiques, cartes de potentiel des besoins et des sources EnRR… www.enrchoix.idf.ademe.fr

méthodologie

Nos données sont issues d’une analyse qui croise deux observations : les surfaces réelles des installations EnRR franciliennes, mesurées à partir des images satellites, et la quantité annuelle d’énergie produite de ces mêmes installations, consolidée dans le cadre du Réseau d’observation statistique de l’énergie et des gaz à effet de serre en Île-de-France (ROSE). Cette approche permet d’appréhender le développement des EnRR sur un territoire ou un patrimoine (bâti ou foncier). Avec les évolutions technologiques (puissance et rendement), les valeurs pour les filières éolienne et solaire photovoltaïque sont vouées à augmenter. Par exemple, les parcs solaires au sol en développement projettent une production par unité de surface de l’ordre de 0,13 MWh/m², soit presque le double des parcs existants.

artificialisation des sols : définitions et impacts

L’artificialisation des sols est définie comme « l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage » (loi Climat et résilience). L’imperméabilisation constitue le niveau le plus impactant d’artificialisation, avec des conséquences multiples ainsi que de nombreux risques pour la biodiversité et le climat. De la destruction d’habitats naturels et de continuités écologiques à la diminution des capacités d’absorption du CO2, la réduction des terres naturelles, agricoles et forestières implique des changements immédiats et à long terme.

Cette étude est reliée aux catégories suivantes :
Aménagement et territoires | Foncier | Environnement urbain et rural | Développement durable | Énergies renouvelables et de récupération