Indicateurs, mesures, impacts et co-bénéfices de la sobriété énergétique

Fabrique francilienne des sobriétés

Retour sur le webinaire du 8 avril 2022

Les objectifs de cet atelier, qui réunissait cette fois plus de 50 personnes, étaient de découvrir des indicateurs de mesure, de suivi ou d’impacts de la sobriété et d’en repérer en fonction de ses objectifs (état de lieux, contrôle, suivi, projection, création de jalons et alertes).

Pour cela, le déroulé était séquencé en trois temps :

  1. Identifier ce que l’on mesure : Bien comprendre de quoi on parle quand on dit sobriété énergétique
  2. Construire des indicateurs : Découvrir différentes approches pour mesurer et suivre dans le temps 
  3. Savoir argumenter les indicateurs : Temps de réflexion et de contributions en commun

À cela, on peut déjà retenir trois messages clés :

  La sobriété, un domaine complexe

  Mesurable selon différentes approches

  Démarche en process et à mutualiser

 

Tour de chauffe en début d’atelier : les participants sont tout d’abord invités à répondre à la question :
En regard de la soixantaine de mots et idées suggérés, il convient de revenir sur ce qu’on entend par sobriété énergétique.
Selon le Haut Conseil pour le Climat, la sobriété énergétique est une démarche qui vise à réduire les consommations d’énergie par des changements de comportement, de mode de vie et d’organisation collective. La sobriété énergétique consiste tout d’abord à nous interroger sur nos besoins, puis à adapter nos usages à ces besoins. On rappelle également que c’est le premier pilier de la transition énergétique et écologique avant l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables.
Elle est donc bien éloignée des idées reçues quand certains l’associent à la privation, à la précarité, aux petits gestes, à un privilège de bobo, au subissement, à la pauvreté, à un retour en arrière ou encore la confonde avec l’efficacité énergétique.
Au-delà de la définition, il faut aussi retenir que la sobriété est individuelle et collective, qu’elle est volontaire, qu’elle est multithématique et transversale et qu’elle est porteuse de valeurs.

L’Agence Locale de l'Énergie et du Climat de l'Est parisien (ALEC-MVE) dispense un conseil neutre et gratuit sur la maîtrise de l’énergie, la rénovation énergétique, les énergies renouvelables notamment pour les particuliers et apporte un soutien technique et stratégique aux professionnels et aux politiques publiques des collectivités sur la transition énergétique et écologique depuis 1999. Elle exerce ses missions sur 19 communes réparties en Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne et à leurs intercommunalités associées. Engagé de longue date dans les groupes de travail sobriété énergétique de l’AREC, Alexis Drzemczewski avait apporté son expertise à la conception et à l’animation de l’atelier « Du récit de la sobriété aux indicateurs » dans lequel nous étions partis de récits de territoires pilotes (Loos-en-Gohelle, Barcelone, Vancouver et Argentan Intercom) et du récit construit par les Archives du département du Val-de-Marne à travers son exposition « + 2°C ? Les Val-de-Marnais, le climat et l'environnement ». Cela avait ensuite servi de matière à un exercice collaboratif en deux temps et proposé sur trois types de territoire francilien : ville de petite couronne, ville nouvelle et village.

  • Identifier les clés de détermination d’un récit un type de territoire : interroger le récit du territoire selon différentes temporalités (jadis, avant, aujourd’hui, demain) et thématiques (énergie, mobilité, urbanisation, bâtiment, alimentation, autres)
  • Identifier les indicateurs, impacts visés et les résistances : les indicateurs et impacts sont qualitatifs ou quantitatifs, sont de mise en œuvre, de suivi ou d’évolution. Les résistances sont sociales (culture, demande, politique), économiques (prix, offre/demande) et structurelles (offre, temps).

L’ARB ÎdF a pour rôle d’évaluer l’état de la biodiversité, de suivre son évolution, d’identifier les priorités d’actions régionales, de diffuser les bonnes pratiques et de sensibiliser le public à sa protection. Dans ce cadre, elle développe tout un champ d’actions sur les solutions d’adaptation fondées sur la nature, c’est-à-dire des réponses aux impacts des changements climatiques des villes (îlots de chaleur urbain, inondations, sécheresses) qui sont des actions visant à protéger gérer de manière durable et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés pour relever directement les défis de société de manière efficace et adaptative tout en assurant le bien être humain et en produisant des bénéfices pour la biodiversité. Ainsi, par rapport aux solutions grises (technologies) ou douces (gouvernance), ces solutions vertes fondées sur les écosystèmes ont des co-bénéfices plus importants. Afin d’illustrer ses propos, Gabrielle Huart a mis en avant l’exemple du site pilote des Mureaux mis en œuvre dans le projet européen ARTISAN qu’elle anime. Il s’agit de la végétalisation de la cour d’école Paul Raoult avec création d’îlots écologiques dans l’écoquartier. Pour répondre aux objectifs de réduction de l’îlot de chaleur et de création d’habitat pour la biodiversité, plusieurs indicateurs ont été créés. A titre d’exemple, la diminution des températures sera suivie selon trois indicateurs : moyennes des températures maximales, indice du confort thermique et nombre de jours de fermeture des écoles en lien avec des phénomènes météorologiques.

Raphaël Gerson a illustré les réflexions sur les indicateurs que l’on retrouve dans les quatre scenarios des travaux Transition(s) 2050 de l’ADEME. S1, Génération frugale repose sur des transformations importantes dans les façons de se déplacer, de se chauffer, de s’alimenter, d’acheter et d’utiliser des équipements permettent d’atteindre la neutralité carbone uniquement avec des puits naturels (forêts et sols), préservant ainsi les services écologiques associés. S2, Coopérations territoriales stipule que pour atteindre la neutralité carbone, la société mise sur une évolution progressive, mais à un rythme soutenu du système économique vers une voie durable alliant sobriété et efficacité. Dans S3, Technologies vertes, c’est davantage le développement technologique qui permet de répondre aux défis environnementaux plutôt que les changements de comportements vers plus de sobriété. Enfin, dans S4, Pari réparateur, la société place sa confiance dans la capacité à gérer, voire à réparer les systèmes sociaux et écologiques avec plus de ressources matérielles et financières pour conserver un monde vivable. Les technologies de captage et stockage de CO2, indispensables, sont incertaines et consommatrices d’électricité. Ces scénarios sont maintenant précisés dans des « feuilletons » qui explorent les changements induits par les quatre scénarios prospectifs visant la neutralité carbone en 2050 : à voir notamment les feuilletons Modes de vie et Territoires.

Le Forum Vies Mobiles est le think tank de la mobilité, soutenu par SNCF. Ses travaux portent sur les modes de vie et la manière dont les déplacements structurent leur déploiement, leurs rythmes et permettent d’organiser nos activités (travail, loisirs, consommation, etc.). Il en étudie les impacts sur les personnes, la famille, la santé, le territoire et l’environnement. Claire-Marine Javary nous a présenté les travaux sur l’expérimentation du rationnement de la mobilité. Ni les innovations technologiques, ni les incitations à utiliser des moyens de transport peu polluants ne parviennent pour l’instant à faire baisser les émissions de CO2 des transports en France. Face à cette impasse, les politiques commencent à réfléchir à limiter la quantité de déplacements carbonés. Peut-on imaginer une politique de limitation des déplacements carbonés qui soit équitable ? Est-ce que plafonner directement la quantité de déplacements polluants dévolus à chaque Français pourrait être une alternative à la taxe carbone ? Cela présenterait au moins deux avantages que n’a pas la taxe : empêcher d’émettre plus de CO2 que décidé au niveau national et donner à chaque Français le même droit, quels que soient ses moyens. C’est ce qui a été expérimenté dans la ville de Lahti en Finlande, qui récompensait les habitants volontaires parvenant à ne pas dépasser leur quota de déplacements urbains polluants. L’idée serait maintenant de tester l’allocation de quotas carbone individuels localement dans des entreprises.

Estelle Cocciolone met en avant le suivi des courbes de charge et donc de consommation d’électricité qui peut être fait à partir des données des compteurs que chaque consommateur particulier, collectivité ou entreprise peut trouver sur le site d’Enedis

Une courbe de charge représente, sous forme de graphique, la consommation d’électricité sur une période précise. Cette courbe de charge, ou courbe de puissance, permet d’analyser et de comparer les pics de consommation d’énergie ce qui peut ensuite amener à modifier ses habitudes et donc optimiser sa facture d’électricité.

Toutes les heures, minutes, secondes, le compteur électrique relève la puissance appelée sur le réseau pour alimenter vos besoins d’énergie ce qui permet ensuite d’établir le profil de consommation sur une journée, une semaine, un mois ou un an ce qui s’avère utile pour accompagner les usagers dans la maîtrise de leur demande d’énergie par exemple dans le cadre des défis DECLICS énergie. La courbe de charge permet également de voir si l’abonnement choisi est bien dimensionné.

Les échanges avec les participants

Sur les indicateurs en général

  • Dans nos cultures "d'ingénieur", la construction d'indicateurs est intimement liée à l'objectif d'efficacité, donc au culte de la performance, donc au mode de pensée qui a créé les dégâts environnementaux. Est-ce donc pertinent d'avoir des indicateurs pour la sobriété ? En plus, n'est-ce pas un risque d'une approche trop normative de nos comportements ? Ne faudrait-il pas juste se contenter d'indicateurs de résultat (émissions de CO2, hectares végétalisés, etc.)?
  • Je partage ce questionnement. Nous travaillons sur ce sujet et constatons une ambivalence entre la tendance à reproduire les mêmes schémas de pensée (paradigme d'efficacité) dans la construction d'indicateurs, et le besoin de rendre "palpable" les co-bénéfices liés à la sobriété, notamment pour convaincre que la sobriété est un moyen d'atteindre une fin plus large (aller vers un "mieux-vivre" sur un territoire par exemple)
  • J'entends ce point de vue. Vous semble-t-il néanmoins intéressant de rendre visible des actions/ une stratégie de sobriétés pour en évaluer la mise en œuvre en juste proportions aux vues de l'enjeu ? L'idée serait alors de visualiser non pas la plus-value "sobriété" mais l'investissement.
  • En tout cas, cela me semble important de s'y intéresser et d'essayer de déconstruire ce qu'on mettrait derrière le "pilotage" de la sobriété, car ce sujet va sûrement s'imposer de lui-même (logiques de certification, d'investissement...) : du coup, il s'agit de réfléchir à : comment construire un "référentiel d'évaluation" qui évite de réduire la sobriété à une "one best way"?
  • Miser sur les 2, techniques sans effet rebond et comportements frugaux.
  • Oui et puis la sobriété c'est aussi repenser nos usages numériques et leurs impacts.
  • Cela dépend de la finalité des indicateurs : est-ce pour suivre les investissements, valoriser ce qui est fait, communiquer pour reproduction, communiquer au grand public ou à une cible précise ? Pour moi il y a des distinguos à faire sur ces sujets.
  • Tout à fait d'accord ! Et cela dépend également de facteurs de contexte, pour que l'évaluation tienne compte du contexte dont on part : en ça, l'expérimentation Citi cap qui a été présentée est très intéressante car elle pose la question des "critères de répartition" : peut-on demander le même effort à tout le monde ?
  • Les indicateurs "rationnels" ont certainement de l'intérêt dans une vision collective des enjeux et pour un minimum de vérification de l'atteinte des objectifs globaux. Mais dès qu'on arrive au niveau individuel, cela devient très délicat (chaque contexte est différent et le rationnement suppose une forte équité, pour ne pas dire égalité). Je me questionne alors sur une approche plus qualitative, morale ou philosophique : comment "éduquer" à la modération ? et cela suffirait-il?
  • Questionnement totalement pertinent, c'est le même pour la nature, trop souvent aménagée ou préservée pour les services écosystémiques qu'elle peut nous rendre. Psychologiquement et sociologiquement on ne peut pas convaincre les gens avec une approche purement scientiste, et liée à des exigences de performance qui sont déjà très prégnants dans la société. Connaissez-vous le Manifeste pour une frugalité heureuse et créative ? avec des urbanistes, architectes, écologues, ingénieur nous travaillons à rendre désirable une autre manière de ménager et non plus aménager le territoire.
  • Il y a un travail éducatif à faire en médiatisant les projets innovants bourrés d'externalités positives et dont la sobriété sert à repenser nos modes de vie et consommation, l'habitat participatif est intéressant également sur cet enjeu.
  • Il serait intéressant de poursuivre ces réflexions dans un groupe de travail indicateurs sobriété.

Sur les scénarios de l’ADEME

Il serait intéressant d'avoir des indicateurs : "budget sobriété" - les investissements qui participent à la sobriété. Au même titre qu'il est possible d'évaluer les investissement EnR ou efficacité énergétique.
Le S3 (scénario 3) est basé sur des technologies qui n'existent pas encore.
Baisse de 27% uniquement sur le S4. Ce n’est vraiment pas suffisant. Les GES baissant de manière proportionnelle. Seul les S1 et S2 sont viables d'un point de vue environnemental. cf les vidéos de Gael Giraud et de Arthur Keller. Mais proposer S3 et S4 permet de se rassurer en se disant que la technologie va nous sauver.
Avoir proposer le S4 (et le S3 ?) conforte les politiques actuelles à ne rien faire sur la sobriété.
L’ADEME précise que c’était important de pouvoir montrer plusieurs chemins.
Il serait intéressant d’avoir des retours d'acteurs territoriaux sur ces différents scénarios et sur la manière dont ils peuvent s'en saisir comme outil d'aide à la décision.

Sur la courbe de charge

La consommation par heure peut éventuellement permettre de voir le talon la nuit et de tester des choses (lessive de nuit, vaisselle de nuit, extinction des veilles...)
L’intérêt est de pouvoir avoir une vision de sa consommation et de mettre en place par exemple une régul sur le chauffage. En temps qu'accompagnateur, nous pouvons également parler des écogestes (débrancher la box, les consoles de jeu, le micro-onde) qui consomment alors qu'il n'y a personne au domicile
Le fait d'avoir un pas de 30 min permet également de lisser sa courbe de charge.
C'est un travail que peuvent faire les conseillers France Rénov’
On peut se servir de cet outil d’Enedis pour faire des statistiques et motiver les troupes pour faire émerger des actions collectives. C'est le cas notamment dans les DEFIS DECLICS énergie qui permettent de traiter ces données.

Après les questions / réponses aux intervenants, les participants étaient ensuite invités, dans le cadre d’un court exercice commun, à identifier une action de sobriété et à la qualifier à travers différents critères. L’exercice sera à poursuivre pour enrichir les propositions.

Actions

(Titre, porteurs de projet, objectifs, moyens)

Cibles

(agents, artisans/

commerçants/

entreprises, citoyens)

Impacts

(nuisances et cobénéfices

Indicateurs

Résistances

(psychologiques, politiques, structurelles, organisationnelles, etc.)

Thématiques (énergie, mobilité, eau, alimentation, déchets, bureautique, produits et services)

Défis DECLICS

Portés par les ALEC et autres structures

Grand public

Changements de pratiques

Réduction des factures d’énergie, d’eau, etc.

kWh économisés

CO2 économisé

Réduction des kg de déchets

Litres d’eau économisés

Changer les pratiques

Garder les efforts dans le temps

Energie

Alimentation

Déchets

Mobilité

Détective économe

Porté par ALEC-MVE

Usagers des écoles

Bonne compréhension et bon usage des équipements (moins d'effet rebond)

Niveau de connaissance (mesure en plus possible via analyse de fluides)

Non compréhension des enjeux et fonctionnement du bâtiment

Energie, éco-conception, eau, santé, biodiversité, matériaux, confort été/ hiver

Sobriété dans la rénovation des copropriétés

Porté par IDF Energies dans le cadre du programme RECIF

Propriétaires et locataires

Economies obtenues par des actions de sobriété en complément des d’actions sur l’efficacité

Baisse des consommations de chauffage, eau chaude, électricité

Augmentation du confort

Difficultés sur le choix d'une température de chauffage et du confort attendu par chacun

Energie

Confort

Réduire les repas carnés en cantine : proposer 2-3 repas/semaine sans viande

Restauration municipale : cantine centralisée qui gère les repas vers les cantines scolaires => inciter les municipalités (coordination d'associations qui challenge le PCAET)

=> Co-bénéfice : qualité nutritionnelle des menus

=>Maintien de l'équilibre nutritionnel (référentiel GEM-RCN*)

=> Acceptabilité des familles : satisfaction des familles ?

=> Quantité de repas non-carnés

=>Emprunte carbone des repas (estimation moyenne ADEME)

Résistance des familles : proposer déjà des repas sans bœuf ?

Possibilité d'un choix carné ET non carné ?

Pédagogie sensibilisation (rassurer sur l'apport en protéine,...) ?

Alimentation

*DECLICS : https://defis-declics.org/fr/
*Ministère de l’économie et des finances : GROUPE D’ETUDE DES MARCHES DE RESTAURATION COLLECTIVE ET NUTRITION (GEM-RCN) https://www.economie.gouv.fr/files/directions_services/daj/marches_publics/oeap/gem/nutrition/nutrition.pdf

Replay

Les prochains rendez-vous de la Fabrique francilienne des sobriétés

 Vendredi 10 juin : atelier Coopératives et collectifs

  Mardi 21 juin : atelier outils financiers pour les collectivités : L'intracting

 Vendredi 1er juillet : atelier Low tech et sobriété de la conception à l’usage

 Vendredi 23 septembre : atelier Les imaginaires de la sobriété

 Vendredi 18 novembre : atelier

 Vendredi 9 décembre : conférence régionale

Rappel du programme

Animation : Marie-Laure Falque Masset, AREC

Introduction

Interventions et questions/réponses

ADEME, Raphaël Gerson, Transition(s) 2050 et études sociologiques de l'ADEME

ARB, Gabrielle Huart, Solutions fondées sur la nature

Enedis, Estelle Cocciolone, Courbes de charge et consommation d'électricité

ALEC-MVE, Alexis Drzemczewski, Indicateurs, impacts et résistances

Forum Vies Mobiles, Claire-Marine Javary, Expérimentation du rationnement de la mobilité

Contributions en commun

À partir d'exemples inspirants de projets de sobriété en collectivités, quelles actions développer dans les PCAET et quels indicateurs associer ?

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